Non, la Grèce n’est pas en faillite !
J’ai cru m’étrangler en entendant Jean-Michel Apathie avant-hier au Grand Journal. Le chroniqueur de Canal Plus affirmait avec son assurance coutumière que la Grèce était en situation de faillite et que plus aucun investisseur ne souhaitait lui prêter d’argent. S’en suivait son numéro habituel sur les dépenses publiques et la dette. Il est vrai qu’Athènes a dépassé beaucoup de limites en trafiquant ses comptes publics pour camoufler des déficits colossaux, mais le journaliste d’RTL exagère lui-aussi.
Car, comme je l’expliquais mercredi, la Grèce est encore loin d’être en situation de faillite. Bien sûr, sa situation est très préoccupante, avec un déficit de 12% du PIB, une dette de 100% et des taux longs équivalents au double des taux de l’Allemagne. Mais malgré tout, Athènes est encore loin de la faillite, malgré ce que disent de trop nombreux journalistes. La faillite, c’est être dans l’incapacité de payer ses échéances, ce qui n’est pas du tout le cas aujourd’hui.
Il y a moins d’un mois, la Grèce voulait placer 8 milliards d’emprunts d’Etat (sur un besoin annuel estimé à 50). Les investisseurs en ont demandé 25 ! Il faut dire que le taux proposé est beaucoup plus attractif que celui du Bund Allemand ! Malgré tout, Athènes a préféré ne placer que les 8 milliards initialement prévus, ce qui couvre ses besoins de trésorerie jusqu’au début mai, signe d’une certaine confiance pour se refinancer. La Grèce peut emprunter, cher, bien sûr, mais elle peut le faire.
Bref, contrairement au catastrophisme affiché par certains, la situation n’est pas aussi critique que cela. Et même le coût supplémentaire que les marchés imposent à la Grèce est gérable pour quelques mois. Il faudra encore un peu de temps pour que la situation devienne incontrôlable, d’autant plus qu’il restera toujours la possibilité de trouver des financements en dehors des marchés. Mais avec une telle rémunération, les investisseurs pourraient continuer à vouloir prêter à Athènes.
Une Europe qui restera aux abonnés absents
Dans un écho avec la campagne sur le traité de Maastricht, certains réclament une réponse forte de l’Europe. Cela rappelle les arguments de ceux pour qui la monnaie unique était un moyen de contraindre l’Europe à se construire sur un modèle fédéral. Un rappel utile du côté profondément anti-démocratique de cette construction européenne toujours désireuse de concentrer davantage de pouvoirs au détriment des Etats-nations, au-delà même de ce que disent les traités…
Mais cette solution ne viendra pas. En effet, l’euro, loin de provoquer une convergence économique, a plutôt accentué les différences de situations des pays membres. Les déficits publics vont aujourd’hui du simple au quadruple (3% en Allemagne, 12% en Grèce), ce qui rend de facto toute solidarité impossible. En effet, les Allemands ne voudront jamais payer pour les Grecs. Jamais les fourmis européennes ne voudront financer les cigales de l’Union, ce qui est assez facile à comprendre.
Et ce n’est d’ailleurs pas injuste car une telle intervention aurait pour conséquence de pousser les pays à se comporter comme des cigales, sachant qu’il y aurait toujours des fourmis pour les sauver… Cela, jamais l’Allemagne ne pourra l’accepter. Au pire, l’aide accordée sera peut-être faite sous la forme de prêts aux taux d’intérêt punitifs et conditionnés à des plans de rigueur extrêmement contraignants. Bref, l’Europe de demain sera une Europe aussi impitoyable que les marchés.
Jacques Sapir montre qu’il y aurait pourtant une solution : rétablir le contrôle sur les mouvements de capitaux (comme lors de la crise asiatique de 1997) et changer les règles de la BCE pour l’autoriser à acheter les dettes d’Etat. Mais il pense que l’Europe n’ira pas dans cette direction. Du coup, cette crise est annonciatrice d’autres crises, qui finiront sans doute par faire exploser l’euro. Le dogmatisme néolibéral de l’Europe condamne la monnaie unique.
Non, la Grèce est loin d’être en faillite aujourd’hui. Mais oui, il y a un vrai risque à moyen terme. La seule certitude que l’on peut avoir est que cette affaire a démontré les immenses limites du projet européen actuel, une monstruosité économique qui porte en elle les ferments de sa destruction.
Laurent Pinsolle
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